Dailly Armony

Je suis née en 1993, dans la banlieue du 93. Mes parents se sont rencontrés au lycée Jean Zay à Aulnay-sous-Bois, puis se sont installés à Sevran où j'ai passé toute mon enfance. Une fois adulte, j'ai trouvé une colocation à Bobigny, puis à Drancy. Je m'amuse souvent à dire que je suis un pur produit du 93. Mes colocs plaisantent en disant que je ne vivrai jamais derrière le périph.

Longtemps, j'ai eu honte d'être banlieusarde. Cela signifiait être reclus, s'ennuyer, mais aussi être trop pauvre pour vivre dans la capitale. Je me souviendrai toujours du jour où j'ai compris en 2012, que ma ville était l'une des plus pauvres d'Île-de-France, lorsque le maire de Sevran, Stéphane Gatignon, a installé une tente devant l'Assemblée nationale et entamé une grève de la faim afin que la dotation de solidarité urbaine (DSU) soit revalorisée pour réduire les inégalités entre communes riches et pauvres. Je me disais qu'on devait en arriver là pour que nous, les banlieusard.es, puissions avoir des droits comme les autres.

Longtemps, j’ai mal parlé des banlieues. De la Seine-Saint-Denis, mais surtout de Sevran. Et pourtant, au moindre reportage sur M6 et au premier commentaire négatif que je pouvais entendre sur ma ville, j'étais la première à défendre et protéger mon origine. Chaque fois que je rencontre un ou une Sevranais.e, ou quelqu'un ayant grandi dans le 93, je deviens euphorique et me sens immédiatement connectée à cette personne. Comme si nous faisions partie d’une grande famille finalement.

C'est avec ma première série photo “Coming of age”, que je me suis rendu compte que je n’avais pas uniquement documenté la vie de mes copines. “Coming of age” explore surtout l’intimité, l’ennui et la vie “banale” d’un groupe de banlieusardes venant du 93, loin des clichés sensationnalistes. Plus tard, j’ai eu envie d’élargir ma vision en photographiant des banlieusardes que je ne connaissais pas. J'avais alors en tête de passer une après-midi avec un petit groupe de meufs nées ou vivant en banlieue, afin de leur rendre hommage en photo tandis qu'elles se réapproprient les rues. Les voir s'amuser et se sentir fortes dans ces quartiers pris en otage par les hommes, salies par les médias et la politique de droite, mais aussi fantasmées par la pub, la mode et le cinéma. Toutefois, mon projet a pris une autre dimension, car à peine re-publié en story sur plusieurs comptes insta, des dizaines et des dizaines de femmes et de jeunes filles de banlieue m'ont contactée pour participer. “Meufs du bitume” venait alors de naître et muter en projet au long-court.

Les banlieusardes sont encore trop invisibilisées et manquent encore cruellement de représentations. “La” banlieusarde stéréotypée n’existe pas, et nous avons plus que jamais encore besoin de nous imposer et de montrer que nous sommes là. Qu'on existe et qu'on va faire du bruit.

Malgré mon sentiment d'illégitimité parce que je suis une jeune femme blanche qui ne vient pas de famille immigrée, je me suis dit qu'il était profondément important de porter ce projet en collaboration avec toutes ces banlieusardes puissantes et inspirantes.